La famille comme espace d’apprentissage permanent de la responsabilité

Philippe Bordeyne

Alors qu’on est porté à tenir pour acquis que la famille est, par excellence, un espace de forte responsabilité humaine, il faut bien constater qu’il est peu question de responsabilité dans les paragraphes que le Compendium de la doctrine sociale de l’Église consacre à la famille. Certes, on voit apparaître des thèmes qui s’en approchent : la liberté des personnes face à l’ingérence possible des États, la subjectivité et la dignité de la famille, ses droits inviolables et les devoirs qui lui sont attachés. Mais la responsabilité n’apparaît qu’au sujet de la procréation (« la paternité et la maternité responsables », n° 232) et de l’éducation (« la famille a la responsabilité d’offrir une éducation intégrale », n° 242), celle-ci visant à transmettre « certaines valeurs nécessaires pour être des citoyens libres, honnêtes et responsables » (n° 238).

En réalité, le Compendium se calque ici sur Gaudium et spes (1965) qui ne mentionne la responsabilité de la famille que face à la procréation (GS 50) et au respect de la vie humaine (GS 51), puis face à l’éducation qui vise à former des adultes ayant « une entière conscience de leur responsabilité » (GS 52, 1). Le document conciliaire invite également les époux chrétiens à « prendre leurs responsabilités dans le nécessaire renouveau culturel, psychologique et social en faveur du mariage et de la famille » (GS 49). Mais il faut se rendre dans le chapitre suivant de Gaudium et spes, consacré à la culture, pour trouver un développement plus substantiel dans lequel le concile accueille favorablement l’émergence contemporaine de la responsabilité, désormais reconnue comme une dimension fondamentale de l’être humain : « Nous sommes les témoins de la naissance d’un nouvel humanisme ; l’homme s’y définit avant tout par la responsabilité qu’il assume envers ses frères et devant l’histoire » (GS 54).

La mise en relation de ces deux chapitres de Gaudium et spes, celui sur la famille et celui sur la culture, s’opère dans l’encyclique sociale Fratelli tutti du pape François. Il y développe l’idée que la famille est le lieu où commence le travail de responsabilité humaine face au déploiement de la fraternité universelle dans l’histoire. Se référant à la « tension » féconde qui existe entre le local et le global, entre les « deux pôles inséparables et essentiels » que sont « la fraternité universelle et l’amitié sociale », il souligne la priorité du local qui « nous fait marcher les pieds sur terre » et « met en marche les mécanismes de subsidiarité ». En tant qu’espace de proximité locale où l’on apprend à donner mais aussi à recevoir, la famille joue ainsi un rôle clé dans l’élaboration collective de cette amitié sociale qui forme le creuset de la fraternité universelle, si toutefois elle s’ouvre à un « réseau de relations plus large » et pratique assidûment « l’hospitalité » dont fait preuve le Bon Samaritain dans la parabole évangélique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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